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Page:Labi 1998.djvu/11

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Je voudrais rappeler les deux grands modèles à partir desquels la migration a été pensée et montrer qu’ils sous-entendent un certain nombre de théories, explicites ou implicites, qui marquent fortement les analyses des mouvements migratoires. Le premier contraste pôles attractifs et pôles répulsifs, «pull» et «push factors». Ces notions mises en place par des géographes américains dans les années 1960 ont été très rapidement adoptées en Europe. Les populations quittent un monde qui les rejette pour un autre qui les attire; la pauvreté les chasse et la prospérité les appelle. Le point de vue est économique et postule une rationalité des comportements de part et d’autre.[1] Il sous-entend aussi que l’information circule; ces postulats sont possibles pour le 20e siècle - quoiqu’il mériteraient aussi examen -, mais ils restent problématiques pour l’Europe ancienne. L’analyse consiste alors à identifier les zones qui attirent et celles qui chassent les hommes. Deux indicateurs sont particulièrement retenus: les différences de niveaux de salaires[2] et la relation entre la capacité des terroirs et la démographie.

À ce schéma d’ensemble, se superpose la vision braudélienne de la circulation des hommes et des biens qui assigne, selon les lieux, des vitesses de rotation différentes au capital: il circule de manière toujours plus rapide au fur et à mesure que l’on se rapproche de la ville.[3] Celle-ci est l’élément moteur qui entraîne avec beaucoup de déperdition d’énergie des campagnes où tout circule plus lentement: l’argent, les marchandises et les idées. Dans ce schéma, la place et le rôle de la montagne sont définis d’avance: c’est la lenteur par excellence, l’immobilité. La montagne est le lieu originel, sorte de mère primitive, «fabrique d’hommes à usage d’autrui». Braudel décrit alors les zones montagneuses européennes comme des îles situées hors de la civilisation et de l’histoire. «La montagne ordinairement est un monde à l’écart des civilisations, création des villes et des bas pays. Son histoire, c’est de n’en point avoir, de rester en marge des grands courants civilisateurs qui cependant passent avec lenteur.»

Ces deux systèmes explicatifs, fortement marqués d’ailleurs par les problématiques de la modernité, ont certaines caractéristiques communes, outre qu’ils raisonnent en termes dichotomiques. J’en soulignerai six.

1) Ils atomisent le corps social et produisent des modèles fondés sur une économie dégagée des contextes politiques et des structures des relations sociales. Les migrants sont perçus comme des individus, au mieux comme des familles étroites. Le départ est pensé comme un choix individuel, même

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HISTOIRE DES ALPES - STORIA DELLE ALPI - GESCHICHTE DER ALPEN 1998/3