manifestation d’une loi naturelle (natural law).[11] D’autres exemples viennent infirmer l’hypothèse d’un destin montagnard: les Juifs constituent l’une des diasporas les plus importantes en Europe sous l’Ancien Régime. Ils sont des milliers à parcourir les routes, mais les villes et les villages qu’ils quittent sont le plus souvent situés en plaine.[12] En Suisse, les ressortissants de cantons alpins sont certes nombreux à émigrer sous l’Ancien Régime. Mais les régions non montagnardes sont aussi concernées: «Même dans les régions de moyenne montagne et de plaine qui, dès le 16e siècle, se développent grâce aux activités proto-industrielles et notamment du textile, la nécessité de la migration - masculine - reste indispensable pour amortir les aléas conjoncturels et remédier aux insuffisances structurelles de l’emploi.»[13]
Il y a donc, sous l’Ancien Régime et au début du 19e siècle, des dizaines de milliers de personnes qui partent des plaines. Par ailleurs, les montagnes ne sont pas uniformément pourvoyeuses d’hommes; les départs sont très nombreux dans certains villages et très rares dans d’autres, qui ne sont pourtant pas moins «montagnards» que les premiers. «L’un des faits les plus troublants est que les causes de départ apparaissent à l’évidence comme pouvant s’appliquer à toutes les paroisses de montagne et que, pourtant, en premier lieu il y a des régions entières d’où l’on ne part pas, et, que, en second lieu, il y a, à l’intérieur des régions de migrations, des paroisses qui n’y participent que peu, ou même pas du tout.»[14] Certains villages de l’Apennin ligure, nous l’avons vu, se vident de leur population. Ces départs massifs ne se produisent cependant pas partout: «l’arrondissement communal de Gênes, quoique très montueux, est cependant celui où il y a le moins d’émigrations périodiques».[15]
Plus au nord, deux vallées montant des plaines bergamasques vers les Alpes grisonnes, la Valbrembana et la Seriana, au sol et au climat tout à fait comparables, «présentent un contraste révélateur»: la première est une zone d’émigration tandis que, dans la seconde.pochi habitano fuora: la production de fer et d’armes y prospère et retient les habitants.[16] En Savoie, «l’émigration marchande concerne avant tout le Haut-Faucigny, la Haute-Tarentaise, et dans une moindre mesure, la Haute-Mau-rienne, car elle n’affecte pas uniformément toutes les provinces et toutes les paroisses».[17]