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Page:Labi 1998.djvu/186

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alors que le souvenir des peigneurs de chanvre a quant à lui complètement disparu. À la régence des écoles, certaines personnes préférèrent encore une autre activité, le roulage des marchandises. Les rôles de capitation de Villar-Saint-Pancrace l’attestent une fois de plus, qui montrent à partir des années 1740-1750 une croissance des voituriers analogue et contemporaine à celle des maîtres d’école. Cette nouvelle migration est directement héritée du peignage et aussi (enfin!), une conséquence du traité d’Utrecht. De fait, en modifiant le tracé de la frontière, le traité de paix a placé la vallée de la Durance et notamment Briançon en première ligne de défense, alors qu’elle n’était auparavant qu’une place de seconde ligne. Afin de protéger la région d’une invasion piémontaise - comme celle qui, en 1692, l’avait dévasté

- Louis XIV puis Louis XV entreprirent un vaste programme de fortification et de cantonnement de troupes, que rappellent aujourd’hui les forteresses de Briançon et de Mont-Dauphin.[22] L’approvisionnement des chantiers de construction des places-fortes puis le ravitaillement des troupes qui y furent cantonnées, facilités par la construction de nouvelles chaussées carrossables, stimulèrent la circulation routière pour le plus grand profit des habitants de la vallée de la Durance et notamment ceux du Villar-Saint-Pancrace.

Finalement, la frontière issue d’Utrecht est quand même en partie responsable de la fin de la migration des peigneurs vers l’Italie, même si ce n’est qu’indirectement. Pour le reste, on l’a vu, cette frontière au eu aussi peu d’incidence qu’un rideau de fumée. À l’issue de cette communication, il importe surtout de retenir la rapidité et l’ampleur de la mutation professionnelle opérée par les peigneurs briançonnais au cours du 18e siècle. Loin d’être immobile, comme on a si souvent tendance à le croire, cette société alpine s’est entièrement reconvertie en à peine une quarantaine d’années, témoignant ainsi d’une remarquable capacité à s’adapter à un nouveau contexte politique et socio-économique.


Notes

1 Thérèse Sclafert, Le Haut-Dauphiné au Moyen Age, Paris 1926, p. 607.

2 Abel Poitrineau, Remues d’hommes. Les migrations montagnardes en France. 17e-18esiècles. Paris 1983, 328 p.

3 Archives départementales de l’Isère, 2 C 326, folios 24 à 282, Révision des feux en Briançonnais.

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BELMONT: L'ARTISAN ET LA FRONTIÈRE