Quelle que soit l’interprétation que l’on puisse donner à cette hostilité croissante du pouvoir royal à l’égard des protestants du royaume, le fait est incontestable. Finalement, en octobre 1685, par l’édit de Fontainebleau, Louis XIV révoquait l’édit de Nantes de 1598. Il est clair maintenant que les souverains protestants ne contestèrent pas au Très Chrétien d’interdire le protestantisme sur ses terres, ce qui, somme toute, relevait de son droit souverain. En revanche, dans le même mouvement, dans le même édit, interdire l’émigration allait contre tous les usages établis. Traditionnellement en effet, le principe du «cajas regio ejas religio» par lequel le souverain pouvait imposer à ses sujets sa propre religion, ne se justifiait que par le maintien du «jas emigrandi», le droit à l’émigration. L’édit de Fontainebleau, dans la remarquable brièveté de ses douze articles, en consacrait pourtant un tout entier, le dixième, à cette clause: «Faisons très expresses et itératives défenses à tous nos sujets de la dite R. R R. de sortir: eux, leurs femmes et enfants de notre dit Royaume, Pais et Terres de notre obéissance, ni d’y transporter leurs biens et effets sous peine pour les hommes des galères, et confiscation de corps et de biens pour les femmes.»[5]
Très vite les autorités françaises se rendirent compte que, malgré les abjurations massives de communautés protestantes entières - ce qui fut la règle générale - les conversions n’étaient que de bouche, effectuées pour parer au plus pressé, et que, malgré les interdictions, les départs vers l’étranger se précipitaient et prenaient l’ampleur d’une hémorragie démographique. Celle-ci était propre à alarmer les responsables politiques, tous persuadés que la richesse des nations provenait de la multitude de leurs peuples.
Nous savons que rapidement des agents français à l’étranger avaient reçu pour mission de ramener au pays le plus de réfugiés possible. Ainsi, pour l’Angleterre, dès l’hiver 1685-1686, l’émissaire attitré de Louis XIV, préposé aux questions délicates auprès de l’ambassadeur de France à Londres, s’entretenait avec ce dernier de l’objet de son voyage: «J’ai expliqué à M. de Barillon le sujet de mon voyage. Il croit tout aisé, à la réserve du retour des gens de la Religion en France. Il y en a beaucoup en ce pays. J’espère qu’il ne sera pas aussi difficile que M. Barillon le croit d’en ramener la plus grande partie.»[6]
C’était, par le fait même, avouer l’incapacité du royaume de France à surveiller ses frontières et à faire respecter l’interdiction adressée aux huguenots de fuir à l’étranger. Nous pouvons penser que les réfugiés en Angleterre ou aux Provinces-Unies provenaient surtout des provinces du Nord, de la Nor-