Jump to content

Page:Labi 1998.djvu/163

From Wikisource
This page has not been proofread.

grands domaines seigneuriaux et monastiques, il n’y a qu’un pas, facile à faire.

Avec cette hypothèse, un territoire se précise: celui, déjà évoqué, du bassin méditerranéen élargi aux montagnes qui le bordent, celui surtout de l’Empire romain, de la pax romana, d’une économie puissante et savamment organisée. Or, force est de le constater, la cartographie des itinéraires de transhumance des pays méditerranéens fait globalement apparaître les contours de l’Empire romain et d’un espace, celui des régions méditerranéennes, dont la cohérence géographique et culturelle n’est pas à démontrer.

Ces aller-retour dans le temps long de l’histoire démontrent, s’il en était encore besoin, que le berger transhumant, héritier d’une tradition multimillénaire, est un montagnard et un méditerranéen qui, hier comme aujourd’hui, ne cesse d’unir ces deux mondes en un seul.

Quoique son origine soit très ancienne, la transhumance connaît, à partir de la fin du 14e siècle, dans tous les pays de la Méditerranée occidentale où elle est observée, un développement intense. Trois facteurs, surtout, semblent y contribuer: la sécurité retrouvée, le développement consécutif des surfaces cultivées, incompatible avec la présence continuelle des troupeaux, et, semble-t-il, la diffusion de la technologie du moulin à foulon qui, permettant de traiter les lainages à grande échelle, contribue à l’accroissement du cheptel ovin.[12] C’est alors que l’habitude tend à se généraliser d’envoyer à de longues distances durant les quatre mois d’été ces animaux en montagne, dans le cadre de ce qu’on appelle désormais «la grande transhumance ovine».

Un mode de vie s’est ainsi perpétué autour de cette pratique pastorale, générateur de races spécifiques (d’ovins, de caprins, d’ânes et de chiens), de paysages, de savoir-faire, d’échanges, de passion et de goût pour la liberté. Une activité qui satisfait, aujourd’hui toujours, au moindre coût économique, des besoins de tous ordres, sociaux, culturels, esthétiques, un modèle de relations équilibrées entre l’homme et la nature, entre la plaine et la montagne. Via le trajet des hommes et des bêtes qui, deux fois par an, irrigue les vallées, la transhumance offre un magnifique exemple de complémentarité réussie entre les Alpes du sud, les vallées et les plaines méridionales. Il serait temps, à l’heure où sa disparition menace, que ses rôles économiques, environnementaux et culturels soient partout reconnus à leur juste mesure et que des actions se multiplient pour qu’ils continuent à jouer sans contrainte.

Un archéologue[13] vient de montrer que les chemins de transhumance de l’Italie centrale, il tratturi, étaient jalonnés à l’époque romaine de temples

185
DUCLOS: LA TRANSHUMANCE