d’échange et d’emblée elle a été «surpeuplée» par rapport aux ressources naturelles. Les villages proches des cols sont au 14e siècle plus peuplés que ceux qui commandent l’accès aux vallées et qui pourtant jouissent des terres les plus fertiles et les plus accessibles. Au 17e siècle, la moyenne montagne est encore largement moins peuplée que les hautes vallées. Bien sûr, ces villages fondés sur la mobilité et l’exploitation commerciale sont extrêmement sensibles aux conjonctures extérieures: ce sont les crises économiques des pays de la migration qui créent la surpopulation et non pas la «surpopulation» qui crée la migration.
Cette analyse a deux corollaires. Le premier concerne les relations entre la proto-industrialisation et la migration. Le schéma classique envisage ce couple comme deux vases communicants: la migration est la réponse aux crises de l’activité industrielle et vice-versa. À partir de là, les historiens hiérarchisent les activités paysannes: d’abord l’exploitation agricole, puis le travail à domicile, la fabrique et enfin la migration qui est l’ultime recours. Ainsi située, la migration ne peut pas être un métier à l’égal du tissage ou du travail en manufacture, produisant des formes d’organisation tout aussi sophistiquées. Cette échelle de la distinction des occupations villageoises se reflète dans les études des villages qui ne s’attachent qu’aux activités de l’industrie à domicile sans prendre en compte la migration, sans chercher à voir les interdépendances entre les deux activités - mis à part le rôle de pis-aller dévolu à la migration - puisque les hiérarchies du travail posent la migration comme fuite et ne peuvent la concevoir comme pouvant parfois être un métier envié, recherché.
L’analyse des relations entre migration et proto-industrialisation dans le Briançonnais tout comme dans l’Engadine, le Tessin ou le Queyras montre que les migrations ne disparaissent pas avec l’essor de la proto-industrie et que les métiers de la migration sont de vrais métiers avec leur histoire et leurs dynamiques propres. De fait, leur importance est telle aux yeux de ceux qui les pratiquent qu’ils préfèrent, plutôt que d’y renoncer, embaucher des ouvriers voire même importer de la main-d’œuvre pour les travaux agricoles ou artisanaux ou pour faire face à la demande des chantiers comme, par exemple, à Briançon.[19]
La coexistence de la migration et de la proto-industrie renvoie alors, me semble-t-il, à l’élément qui les détermine toutes les deux: l’existence d’une élite puissante, insérée dans les marchés européens. Cette élite structure la population des villages, regroupant les habitants en clientèles derrière de