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Introduction

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Introduction
by Pèire Godolin
89982IntroductionPèire Godolin

L'IMPRIMEUR au Lecteur

UNE Personne de condition, qu'il n'est pas important de nommer, ayant appris que je travaillois à la seconde Edition des Œuvres de GOUDELIN, m'a fait la faveur de me donner la Copie d'une Lettre écrite par un Honnête Homme de cette Ville à un de ses Amis de Paris, accompagnée d'un Fragment de feu Monsieur Cazeneuve. Cette Lettre contient un Abregé de la Vie de notre Auteur, avec une espece de Dissertation sur ses Poësies; & l'autre Ecrit nous apprend beaucoup de curiositez touchant la Langue Toulousaine. On void par-là que ces deux Piéces ont un rapport naturel à ce Livre, & que je ne pouvois mieux faire que de les y ajoûter. Le merite de Monsieur Cazeneuve est si reconnu, qu'on en doit estimer les plus petites choses. Pour l'Auteur de la Lettre, on m'en a caché le Nom lorsqu'il m'a été permis de la rendre publique.

La troisiéme Impression de ce Livre a été si bien reçuë, qu'il a falu en faire une quatriéme Edition, dans laquelle on a ajoûté quelques Vers oubliez que mes Amis m'ont donnez, avec une augmentation des Poësies de Gautier, & de quelques autres Piéces qui ne seront pas désagréables au Lecteur.

LETTRE de M *** A un de ses Amis de Paris

MONSIEUR,

Vous voulez donc connoître à fond notre Poëte Toulousain: vous me demandez l'Histoire de sa Vie: vous me pressez même de vous écrire l'opinion que j'ai de ses Poësies, pour sçavoir si elle s'accorde avec celle de tant d'Honnêtes-Gens qui les ont en estime. La passion que j'ai de vous plaire me feroit surmonter les choses les plus malaisées; mais celle-ci ne me sera pas difficile. Il n'y a pas plus de trente-cinq ou quarante ans que cet Homme extraordinaire est mort: quelques-uns de ses plus familiers Amis sont encore en vie, qui en conservent cherement la memoire; & je vous déclare que c'est deux que j'ai appris tout ce que je vais vous écrire de sa Vie, des ses Mœurs & de sa Fortune.

PIERRE GOUDELIN étoit natif de Toulouse, Fils d'un Chirurgien très-experimenté en son Art. Il étudia les Lettres Humaines au College de PP. Jesuites, & s'y rendit fort sçavant, comme on en peut juger par la lecture de ses Ecrits, où il mêle souvent l'ancienne Fable, & par le petit Commentaire qu'il composa lui-même sur ses Poësies, où il cite beaucoup de passages de Virgile & des autres Poëtes Latins qu'il a imitez. Au sortir du College il se jetta dans l'Etude de la Jurisprudence, qui en ce tems-là étoit florissante dans Toulouse; mais il s'en retira bientôt: il en prit pourtant la Licence, & se fit recevoir Avocat au Parlement, quoiqu'il n'en fît jamais la Profession. L'on a fait cette remarque que tous ceux qui sont nez pour être de grands Poëtes ont une particuliere aversion pour l'Etude des Loix comme si les épines dont cette Science est remplie ne pouvoient s'accorder avec les Fleurs du Parnasse. Ainsi les Auteurs des Vies de Petrarque & du Tasse ont remarqué que leurs Peres ne purent jamais les détourner du panchant qu'ils avoient l'un & l'autre à la Poësie, pour leur faire embrasser cette autre sorte d'Etude. GOUDELIN ne suivit pas seulement, comme ces deux celebres Poëtes, le panchant de son Genie, mais comme eux encore il songea d'aller au Parnasse par de nouvelles routes, je veux dire par ses Poësies en la Langue de son Païs; ce qui lui a si heureusement réüssi, qu'il y a lieu de croire qu'il n'aura jamais d'égal. Il étoit encore dans sa jeunesse lorsque feu M. le Comte de Carmaing se retira de la Cour pour venir faire son sejour en cette Ville, aux environs de laquelle il avoit la plus grande partie de ses Terres, outre son Gouvernement de Foix. C'étoit un des plus accomplis Seigneurs du Royaume: il avoit infiniment d'esprit & beaucoup de sçavoir joint à une extrême politesse. Comme il aimoit passionnément les Gens de Lettres, sa Maison étoit le rendez-vous de tous les Sçavans spirituels. GOUDELIN étoit de ce nombre, & ce Comte l'honoroit d'une particuliere amitié, qu'il lui conserva toute sa vie. J'ai oüi dire que pendant sa prison à la Bastille, où il fut mis par le Ministere de M. le Cardinal de Richelieu, il se divertissoit souvent à relire les Vers de notre Poëte, & à les expliquer à M. de Bassompierre, qui y prenoit beaucoup de plasir. Il fut aussi particulierement connu & aimé de M. le Duc de Mommorenci. Ce Seigneur venoit passer souvent le Carnaval à Toulouse; & comme sa Cour étoit très-magnifique & ressembloit à celle d'un grand Prince, entre les autres parties de plaisir, l'on y dansoit souvent des Balets d'une grande dépense, & dont il me semble avoir lû des Relations dans le Mercure François. Ce fut pour ces Balets que GOUDELIN composa une partie de ces Discours en Prose qui sont imprimez avec ses Poësies sous le nom de Prologue, qu'il recitoit en Masque, selon l'usage de ce tems-là.